Sa couleur est surprenante, son parfum puissant sans être entêtant, les pétales froissés comme une soie portée. Ce dont je n’avais pas pris conscience ce sont les enchaînements qui se sont produits cet été à la vitesse d’une flamme le long d’un trait de poudre. Sans doute ne pouvaient-ils pas se produire avant, il y manquait quelques éléments qui en bloquaient la propagation, un coupe-feu qui empêchait l’embrasement et tu as sans doute raison de dire qu’ils n’intéressent personne, que l’art ne se préoccupe pas de ce genre de problème, que seul le résultat compte. Et pourtant…
J’ai écrit en 1964 un Traité des équivalences analysant notre manière de voir auquel il ne faudrait pas changer grand-chose pour qu’il s’applique au phénomène dont je t’entretiens avec une question à la clef qui va te faire bondir au fond de ton Etrurie.
– Quel est l’intérêt du cheminement par rapport à ce qui se trouve à l’arrivée ?
La voilà bien l’encombrante question, celle qui, au cas où on lui donnerait une réponse positive, causerait le Tchernobyl de l’histoire de l’art et ruinerait la profession que tu essayes d’exercer. Tu vois ce qui t’attend si je lâche ma question torpille, ce serait une bataille navale où le navire amiral ira voir par le fond la couleur du corail.
Je te fais remarquer la qualité de mes comparaisons, mais aussi le changement qu’apporterait, à notre appréciation de l’art, le déplacement que je suggère à l’admiration que nous portons à ce qu’il produit. Tu pourrais développer ce que je ne fais qu’esquisser en te penchant sur les étapes de ces parcours et nous apercevrions alors que la plupart des objets, auxquels nous accordons une estime admirative, peuvent rejoindre immédiatement les lieux où nous accumulons les déchets de notre civilisation. J’espère que tu comprends mieux la violence de mon excitation et aussi l’inquiétude que j’ai ressentie devant ce à côté de quoi je fus bien près de passé. Imagine alors le titre qui aurait pu faire la une d’un journal local en mal de sensation : L’artiste oublie la rose de Thunberg !
Je m’étais remis, il y a trente ans d’un : Jetez dehors les petites filles ! paru dans les pages du même torchon et aujourd’hui je n’aurais pas été certain de trouver la réponse adéquate à l’hystérie critique. Tu me diras qu’étant donné la nullité crasse des journalistes, je serais certainement passé à travers les mailles du filet et que je me suis affolé pour rien.
C’est bien ce que je disais, tout le monde s’en fout !