La croyance grecque concernant le regard en tant que toucher constitue finalement une assez belle image que je n’hésiterais pas à rapprocher de l’expression populaire encore un peu plus radicale de « manger des yeux », qui elle diminue encore la distance entre le sujet du regard et le regardeur. Il est en effet difficile de manger si la distance entre les deux est trop grande.
L’autre jour durant la discussion sur Arte le « philosophe » ergotait sur optique et haptique sans que je comprenne très bien où il voulait en venir. Je n’ai jamais « touché » les petites filles, j’ai attendue qu’elles soient grandes (filles) et alors j’ai demandé la permission. Je pense qu’elles furent seules à percevoir l’humour que cachait ma question. Humour certes, mais aussi profond respect des autres, en l’occurrence celles que j’appelais alors « modèles ».
La critique m’a mis en parallèle avec Matisse sans que je sois bien d’accord avec ce qu’il nous a raconté de son comportement. Il aurait dû faire un effort supplémentaire et interroger plutôt que décréter qu’après avoir observé le modèle, il découvrait ce qui lui convenait le mieux ! Question de convenance, il aurait pu lui demander ce qu’il en pensait. Je reconnais qu’il y avait un petit progrès par rapport aux exigences habituelles des artistes, on peut regretter toute fois que le pouvoir de décision ne soit pas proposé au modèle, histoire de renverser parfois la tendance.
J’entends déjà les protestations, l’artiste ne sera plus libre, ne sera plus le deus ex machina, il va devenir tributaire du modèle, victime de sa fantaisie et je répondrais pourquoi pas.
La pratique de l’art deviendrait dans ce cas un duo équilibré et je ne vois pas ce que l’art pourrait y perdre. Bien au contraire, il s’enrichirait de cette osmose, il y gagnerait une dimension supplémentaire du fait de l’addition des sensibilités. Sans doute, ce phénomène n’est-il pas nouveau, ce serait la raison de la charge de certaines œuvres qui en ont bénéficié au-delà de ce que le « sujet » pouvait générer. Si Mademoiselle Rivière n’avait pas été émue sous le pinceau de Monsieur Ingres, le tableau aurait-il la même qualité ?
Alors après ce beau discours, ne croyez pas que je vais vous offrir ce regard de femme caressée qu’elle a sur le tableau, vous aurez droit au résultat de ma laborieuse après-midi : « Le 0m. de la giclée ! » (de magenta bien sûr).
Tenebria prend la parole : Ah, Paulo, tu ne devrais pas veiller si tard, je t’ai vu les faire tes 0m. de la giclée, tu avais les yeux qui rigolaient !
Pupille légèrement dilatée.