PA – La censure n’est pas seulement officielle, elle exista aussi beaucoup plus insidieusement. Je connais bien les réticences suscitées par la liberté du modèle ou ma manière de vouloir présenter le résultat de mes recherches lors de mes manifestations.
TL – Tu sais très bien ce qui dérange les contemplateurs de ton œuvre, comme tu les appelles, dans tes relations modélistes, c’est le toucher beaucoup plus que l’exhibitionnisme ou la mise en évidence (acceptée !) du voyeurisme qui déjà abolissait une distance. Avec le toucher tu franchis les derniers centimètres séparant ce qui se fait de ce qui ne se fait pas, tu bouscules ce que la morale (mais quelle morale ?) a érigée comme interdit. Quant à ta « manière » elle ne correspond pas à l’idée qu’ils se font de ce que doivent être les bonnes. Depuis que Monsieur Marcel leur a dit qu’ils faisaient le tableau, ils veulent aussi le présenter à leur façon et la tienne ne correspond pas à la leur. Jusqu’à maintenant ils pouvaient au moins choisir le cadre et voilà que tu leur enlèves jusqu’à ce petit plaisir. Ils ont l’impression que tu les prends pour des cons.
PA – Bien vu, jamais je n’ai rencontré critique plus perspicace, je trouve pourtant que tu généralises un peu trop.
TL – Tu as raison, j’oubliais les vingt personnes qui prennent le temps de te lire et de regarder ce que tu bricoles.
PA – On pourrait peut-être pousser jusqu’à trente.
TL – Eh attention, ne te met pas à rêver c’est dangereux, nous dirons vingt-cinq et n’en parlons plus. Qu’est-ce que tu touches ?
PA – Un petit mouchoir brodé d’un de mes dessins.
TL – Il est destiné à la toilette du modèle ?
PA – Tout juste !
TL – Encore une de tes manières d’abolir une distance mais maintenant il te reste à trouver la modèle pour que tu puisses pratiquer avec elle ce que tu appelles « ton art ».
Je reste à ma place de regardeuse et vous souhaite de trouver la perle, compliments par avance.
Mais c’est joli cette broderie !