Je ne peux pas dire que je porte le grand bazar dans mon cœur. Du « chien » qui l’ouvrit sur le plateau Beaubourg à aujourd’hui, il n’y a guère que Dominique Bozzo avec qui j’entretins des relations d’estime réciproque. Certes j’ai été critique envers l’institution et je me désespère encore de la voir trop souvent se faire avec lourdeur l’alliée du commerce ou de la politique. J’ai regretté, je regrette encore, que les artistes courbent l’échine devant ceux qui y coulent de longs jours tranquilles au lieu d’exiger qu’ils fassent, intelligemment ce pourquoi on les paye, qu’ils nous étonnent par leur audace au lieu de nous ennuyer et de gaspiller notre argent.
Qu’avons nous à faire d’expositions comme dernièrement celle de Munch où l’incompétence des commissaires s’étale au grand jour, qu’avons nous à gagner avec les mises en scène de décorateurs qui ne respectent pas les œuvres et se livrent à des pitreries lamentables, rien bien évidemment. On nous a imposé des systèmes qui enferment l’art et beaucoup d’artistes jouent le jeu, ils produisent pour le musée. C’est un cercle vicieux qu’il est difficile de briser et le spectacle offert n’est guère réjouissant. Le bâtiment était dès le départ inadapté à sa fonction et les ambitions stupides du « chien » avec ses expositions ayant pour but de relancer Paris n’ont fait qu’accentuer la sclérose de l’institution. Il avait pourtant frétiller gentiment à Stockholm, souvenez vous de Hon et de l’exposition Hausmann, l’air de Paris lui a été fatal.
La liberté est une plaisante invention, j’en conviens. Aujourd’hui elle me semble se réduire à une question d’interrogation plus qu’à un état latent. Dans ce que j’ai appelé la liberté du modèle les questions arrivaient en rafale provoquant la consternation ou le sourire. En effet si « Voulez-vous être mon modèle » reste de bon ton. Puis-je vous toucher surprend toujours un peu et si un oui y répond les conventions en prennent un coup, surtout si cet acquiescement provoque une autre question, qui plutôt que quoi ? serait où ?, ce qui demande certainement un temps de réflexion à moins d’une envie soudaine.
C’est ainsi que les habitudes sont battues en brèche !
Pas beaucoup, mon cher Paulo, rétorque Tenebria.
Ô certes, ce n’est pas énorme, un peu limité au monde de l’art et encore avec de grandes réticences. Là non plus on n’aime pas beaucoup enfreindre les convenances, on tolère quelques petits frémissements limités sans avoir envie d’aller beaucoup plus loin. Il faut quand même pouvoir rentrer chez soi pas trop perturbé. Vous imaginez le monsieur demandant à la dame : puis-je vous toucher ?
Le même monsieur qui pense que l’art n’a pas à se mêler de ce genre de chose, il est là pour faire joli, c’est déjà bien que l’on accepte que ce soit bien nul. Parlez moi de la surface sur laquelle le spirituel va pouvoir s’installer sans encombre et foutez nous la paix avec les désirs du corps, vous savez bien qu’il est périssable, alors ce n’est qu’une question de temps et proposez nous ce qui ne dérangera personne.
Comprenez bien que nous ne voulons pas être dérangés, c’est déjà beau de collectionner vos trucs artistiques, n’en demandez pas plus, l’éthique n’est pas votre affaire. La liberté, voyez vous ça ! Agitez vos pinceaux tant que vous voulez, sans déborder du cadre s’il vous plait, faites nous des belles tartines, on n’en demande pas plus, on se charge du reste, soyez tranquilles et on fera monter les prix, si c’est des sous que vous voulez, vous en aurez, enfin si vous êtes bien sages. Nous on a du boulot, un peu dégueulasse dites vous ? Ça va, ça va, on a l’habitude.
Viens te coucher Paulo, il est tard et tu te pourris la vie en râlant sans arrêt.
Avec toi ?